Elle passe d’une pièce à l’autre, sans fin, comme un papillon virevolte d’une fleur à une autre. Dans la chambre, puis dans la salle de bain, dans le salon, encore dans la chambre. Mais c’est dans l’entrée que tout se joue. C’est le point de passage, le lieu de ralliement, là qu’elle se regarde dans le miroir, et où elle adresse à un homme un « est-ce que ça va comme ça ? » dévoilant une trouvaille vestimentaire qui pourra connaître des variations minime ou totale. Elle cherche. Elle cherche d’un homme, une parole qui arrêtera la valse de ses tenues. Cette sorte de parole qui mettra un terme à son impatience, la rassurant sur ce qu’elle montre, et ce qu’elle voit, non plus dans le miroir, mais bien dans le désir d’un homme.
Comment vêtir son corps de femme ? Comment l’habiller ? Un corps si beau, si réel, si agréable à regarder. Parfois elle l’offre à voir nu. Elle l’offre à un regard, non pas spécialement, mais parce qu’il est là et qu’après tout, c’est un regard dont elle n’ignore pas qu’il a faim. Il apparaît alors de ces mouvements spontanés où se produit la grâce, quelque chose d’inattendu, alors même que ce n’est pas inconnu. Mais la surprise est toujours plus forte, et son compagnon le plaisir, la suit partout. Ses déplacements rapides sont ponctués par le bruit de ses pas, même lorsqu’il ne la voit, il sait exactement où elle se trouve dans l’appartement, devant son armoire ou à côté du lit, près de sa table de chevet ou devant le miroir, devant sa commode ou dos à la baignoire. Il sait alors si elle choisit sa tenue, son maquillage, si elle se coiffe, si elle se chausse ou si elle expérimente son image, sous son propre regard critique.
Ses allées et venues sont comme des vagues sur le bord d’une plage par temps calme, légères, mais incessantes. C’est tout son corps qui semble en suspension dans ses déplacements furtifs. Quelques pas à chaque fois pour changer d’espace, de temps, de regard. Et entre ses pas, ce silence, qui marque l’hésitation, le choix et le doute. Elle brise un instant cette fausse tranquillité pour lui demander un avis parce qu’elle sait qu’il ne se moquera pas d’elle. Il l’écoutera, et il trouvera quelque chose à lui dire. Il répondra, même si c’est à côté, il ne la laissera pas dans ce doute infini qui l’abîme. C’est pour cela qu’elle lui fait confiance, elle sait quel genre d’homme il est, et c’est ce qu’elle attend d’un homme, qu’il s’implique jusque dans son goût douteux pour le style vestimentaire, ou pour le choix du maquillage, ou des chaussures, ou de la coiffure. Si elle appliquait ses conseils, elle serait tout les jours déguisée en pute ou en none. Elle sait tout ça, et elle fait en sorte qu’il lui dise ce qu’il pense hors de tous ses fantasmes masculins. Et elle y parvient. Il l’aime, et elle le sait.
Sa tenue est choisie. Elle quitte l’entrée et se dirige dans la chambre, elle va se déshabiller, son choix ne se fera peau que le lendemain matin. Il arrive à sa suite et s’arrête devant la porte de la chambre, de l’entrée il la voit dans l’embrasure, comme un tableau vivant. Elle se dévêt. La chambre est peu éclairée, elle ne l’a pas illuminée du lampion du plafond, mais de sa lampe de chevet qui plonge son dos dans l’ombre, ce qu’il voit, là d’où il est. Elle a retiré son petit haut et laisse descendre son jean le long de ses jambes, elle laisse apparaître des dessous rouge et rose assortis, dont une culotte particulièrement échancrée. Entre le galbe de ses jambes rayonne la lumière qui projette son ombre sur le parquet, derrière elle. C’est à cet instant, dans le prolongement de son dos magnifiquement cambré que ses fesses sont visibles, prises dans cet écrin rougeoyant, si gracieux et si attrayant. Et plus bas, la surprise surgit. Juste là, sous sa fesse gauche, apparaît ce trait, séduisant, affriolant, entre sa fesse et le haut de sa cuisse, c’est là que se loge la nature de sa beauté, dans cette jonction qui constitue un espace énigmatique, mystérieux, qui capte son regard à lui et le fige pour l’éternité. Le plaisir y est tout entier, et lui y est kidnappé jusque dans sa parole.
C’est en tant qu’homme, témoin de cela qu’il perd toute possibilité de dire quoique ce soit. Il est comme privé de l’usage de sa parole, dépossédé de cette dernière. Elle, bien sûr, elle l’ignore et bientôt le ballet de ses tenues reprend, et lui retrouve l’usage des mots. Mais il reste marqué à jamais de ce dont il a été le témoin privilégié, un moment de poésie corporelle, la beauté de sa nature féminine, toute condensée dans ce trait horizontal qui n’existe que chez elle et qui devient, l’espace d’un regard, le temps d’un silence, un idéal du féminin. C’est à ce moment qu’il aimerait l’embrasser, à ce moment qu’il aimerait lui parler, mais il ne le peut pas. Lorsque ce trait apparaît devant lui, il disparaît derrière, s’évanouit. Alors, il ne reste qu’elle, une femme…
David SELLEM
Toutes les droites appartiennent à son auteur Il a été publié sur e-Stories.org par la demande de David Sellem.
Publié sur e-Stories.org sur 07.08.2010.
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